« Le principal événement mondial en faveur du développement commercial des coopératives et mutuelles »
C’est en ces termes que les organisateurs de cet événement biennal, l’Alliance coopérative internationale (ACI) et le Mouvement Desjardins, ont annoncé, confiants, la tenue du Sommet international des Coopératives.
À juste titre. Il n’y a pas de plus belle opportunité de s’immerger dans le monde de l’entreprise coopérative : quatre jours émaillés de dizaines de sessions d’information, de débats et de présentations d’étude avec des orateurs de prestige tels que le prix Nobel Joseph Stiglitz et Jeremy Rifkin, économistes, qui affirment avec conviction :
« Notre société et notre économie traversent une phase de transition et nous allons devoir prendre les choses en main par le biais des coopératives »
Cette édition était la troisième du sommet et Cera participait pour la deuxième fois dans le cadre d’un Cera Coop Tour avec une délégation belge de treize personnes actives dans des coopératives belges, entre autres dans le domaine de l’agriculture et de l’horticulture, de l’énergie et des soins de santé. Le groupe s’est joint à une foule de près de 3 000 participants issus de 116 pays.
Avant et après le sommet, nous avons eu des contacts intéressants avec le groupe financier coopératif Desjardins et nos collègues néerlandais de la Nationale Coöperatieve Raad Nederland ainsi que leur délégation d’une vingtaine de personnes. Nous avons également eu le privilège de rencontrer Monique Leroux, présidente de l’ACI et donc hôtesse de ce sommet.
Nous avons également visité d’autres coopératives spécifiques :
• la Coopérative de solidarité du Marché public de Sainte-Foy, une coopérative multipartite qui est depuis quelques années aux mains des producteurs, sous-traitants, commerçants et consommateurs, après que les pouvoirs publics ont renoncé à en assurer la gestion ;
• Constructions Ensemble, une coopérative professionnelle d’ouvriers du bâtiment qui a navigué par tous les temps et qui, la veille de notre visite, fêtait au soir ses trente ans d’existence ;
• la Coopérative de solidarité Abattoir Massicotte, une entreprise de transformation de la viande qui, après avoir été une entreprise familiale pendant quelques décennies, a récemment été transformée en une coopérative multipartite détenue par ses fournisseurs et son personnel.
« Le pouvoir d’agir » était le fil conducteur du sommet. Comment les coopératives peuvent-elles anticiper le nouveau contexte économique et s’y adapter, améliorer leurs performances et contribuer aux objectifs de développement durable (ODD) 2030 des Nations Unies ?
Le programme du sommet s’articulait dès lors autour des thèmes suivants :
• les tendances socioéconomiques et géopolitiques ;
• l’innovation, la croissance et l’accès au capital ;
• la gestion des mégadonnées ;
• les défis planétaires tels que le climat, la pauvreté, l’accès à la nourriture, le travail et les soins de santé ;
• le rôle des femmes et des jeunes leaders.
Roos Peirsegaele, senior strategic advisor chez VECO (Îles de Paix) était l’une des participantes. Elle a dressé la liste des objectifs que les coopératives doivent atteindre en matière de sécurité alimentaire et d’agriculture.
Un programme sectoriel spécifique était également prévu dans les domaines suivants :
• agriculture, horticulture et industrie agroalimentaire ;
• services financiers et assurances ;
• soins de santé ;
• industrie et services d’utilité publique ;
• commerce de gros et de détail.
L’une des questions pertinentes qui se posent est celle de la manière dont les coopératives doivent gérer la différence de vitesse à laquelle leurs membres intègrent les nouvelles évolutions.
Sur le site web du sommet, vous trouverez des présentations, des études scientifiques, des bulletins d’information et des fragments vidéo.
Pourquoi Québec ? Québec est en quelque sorte la Mecque de l’entrepreneuriat coopératif au Canada. La ville est aussi le berceau du Mouvement Desjardins. Alphonse Desjardins a été l’éminence grise et le cofondateur de l’entreprise. À la fin du 19e siècle, il s’est inspiré des caisses d’épargne populaire européennes et des caisses Raiffeisen. La banque coopérative a vu le jour le 6 décembre 1900. Par la suite, le nombre de caisses a augmenté de manière exponentielle, jusqu’à quelques dizaines par an.
Aujourd’hui, Desjardins est un groupe coopératif qui propose divers services financiers à ses membres. Il se compose de 375 Caisses populaires Desjardins qui comptent ensemble 7 millions de membres, 4 800 administrateurs et 48 000 travailleurs.
La province de Québec n’a pas d’équivalent de notre système de coopératives de producteurs et de marchés de gros pour les fruits et légumes. Les agriculteurs et horticulteurs n’ont pas beaucoup d’options pour commercialiser leurs produits : soit ils concluent un contrat directement avec un détaillant – si leur taille est suffisamment grande –, soit ils les vendent eux-mêmes. Le marché public fait donc partie des possibilités.
Pas étonnant dès lors que la seule ville de Québec compte plus de cent marchés. Mais un seul d’entre eux est une coopérative : Le Marché public de Sainte-Foy, en quelque sorte une coopérative multipartite. Au Québec, les différents types de coopératives ont cinq formes juridiques distinctes. L’une d’elles est la coopérative de solidarité. Qui sont les membres des différents groupes chez Sainte-Foy ?
• les producteurs, souvent horticoles, qui ne peuvent vendre que leurs propres produits ;
• les transformateurs et commerçants ;
• les consommateurs/citoyens.
Tout ne coule pas de source car le profil des marchands est moins homogène qu’il peut paraître à première vue. Certains producteurs, comme les cultivateurs de pommes, ne vendent que quelques semaines sur les marchés au début de la saison de la cueillette. Dans quelle mesure les investissements et coûts sont-ils dès lors répartis et solidarisés ? Le marché n’a pas beaucoup d’actifs mais des coûts importants : la location du terrain et des tentes et les frais de personnel (un coordinateur à temps plein). La clé de répartition est fixe et n’est pas négociable. Un exposant ne doit d’ailleurs pas être membre pour vendre mais il paie un prix plus élevé.
Il n’est pas non plus facile d’affilier les consommateurs à la coopérative, malgré les incessantes tentatives initiées sous l’impulsion de la coordinatrice. Celle-ci et la direction veulent toutefois continuer à miser sur l’implication et la participation des consommateurs.
Le recrutement et la mobilisation des membres restent l’un des défis, surtout en ce qui concerne les exposants de marché. Tout comme en Belgique, le vieillissement de la population y est pour quelque chose.
Constructions Ensemble est une coopérative professionnelle d’ouvriers de la construction. Outre ces derniers, tout collaborateur désireux de s’engager à long terme peut, à l’issue d’une période d’essai, devenir associé. C’est ainsi qu’un collaborateur administratif entrera bientôt en service. L’équipe comptera donc huit personnes. « Le but recherché consiste à exercer un emploi attrayant, gagner sa croûte et assister correctement les clients ; bref, mener une existence satisfaisante. »
La veille de notre visite, la coopérative professionnelle, qui eu des hauts et des bas, fêtait au soir ses trente ans d’existence. Les membres ont évoqué avec nous les moments difficiles, entre autres la fois où il leur a été demandé de déposer une caution personnelle dans le cadre d’une commande importante, une requête que tous n’ont pas pu accepter.
Mais la grande fierté de ces robustes ouvriers se reflète bien dans leur modèle de coopération. Ils sont convaincus des multiples avantages de ce modèle. Les membres se sentent et se comportent comme des copropriétaires. « Dans les autres entreprises, on entend souvent les gens dire que telle tâche n’est pas de leur ressort. Vous n’entendrez jamais cela ici. »
Ils ont une telle foi en ce modèle de coopérative (professionnelle) qu’ils y font même allusion dans leur marketing :
« Notre vie d’entreprise coopérative en construction dépasse déjà de trois fois la durée de vie moyenne de nos compétiteurs ! »
Toutefois, cette coopérative est peut-être la seule du Québec dans le domaine de la construction. D’après eux, les bénéfices potentiels et le fait qu’il s’agisse d’un secteur centré sur lui-même pèse incontestablement dans la balance.
Chaque membre investit sa part dans le capital. Le système de rémunération est développé avec l’aide d’un consultant RH et inclut le principe de la ristourne. Actuellement, sept membres prennent autant que possible les décisions ensemble : « Si nous sentons que tout le monde n’est pas convaincu, nous nous abstenons. » Officiellement, la coopérative a un conseil d’administration mais cet organe n’a été constitué que pour la forme.
Notre groupe comptait deux administrateurs-infirmiers de Thuisverpleging Meerdael, également une coopérative professionnelle, qui ont été interpelées par ce parcours. Elles savent aussi désormais ce qu’il ne faut pas faire.
L’Abattoir Massicotte est une entreprise de transformation de la viande qui travaille avec les petits producteurs de viande locaux. Après quelques décennies en tant qu’entreprise familiale, elle a été vendue par ses propriétaires (père et fils). La vente a mis du temps à se concrétiser et n’a pas été un grand succès. Finalement, les « acheteurs » n’ont pas été ceux que l’on attendait : en 2014, l’entreprise a été transformée en une coopérative professionnelle détenue par ses fournisseurs (producteurs) de viande et les travailleurs. Ces deux groupes ont tout intérêt à ce que l’entreprise continue à exister.
Il sera particulièrement intéressant d’observer comment les choses évoluent : s’agit-il là d’un débouché sans transfert de société pour les entreprises familiales ? La copropriété par des fournisseurs et des travailleurs est-elle une formule viable ? Comment les prix sont-ils fixés ?
Les membres de la coopérative envisagent de ne plus se limiter à la seule transformation et de commercialiser eux-mêmes les produits. À cette fin, ils peuvent éventuellement collaborer avec un traiteur des environs (ndlr : chez lequel un succulent repas nous a été servi) qui ne travaille qu’avec des produits locaux et qui examine l’éventualité de former une coopérative multipartite composée de fournisseurs, de travailleurs et de consommateurs.
Les initiateurs ont été particulièrement honorés de notre visite. Il n’en a pas fallu davantage pour intéresser la presse :
Radio 106,9 - Des Belges visitent l’Abattoir Massicotte - La coopérative Cera, qui se trouve au Québec dans le cadre du Sommet international des Coopératives, s’est arrêtée à St-Luc-de-Vincennes pour visiter les installations de l’abattoir et discuter avec les dirigeants.
Et la cerise sur le sundae (ou le sirop sur la gaufre) ! la télé de Radio-Canada, rien de moins !
Dans le cadre du Cera Coop Tour, nous partons en petit groupe à l’étranger. Un programme passionnant vous plongera dans le monde des coopératives, vous permettra de rencontrer des experts étrangers en la matière et élargira vos horizons.
Vous trouverez ci-après des comptes rendus des précédents Cera Coop Tours : le précédent Sommet de Québec (2014), mais aussi ceux de Mondragon (2013) et de Lille (2014).