Compte-rendu de notre voyage d'étude
Les 6 et 7 février, Coopburo emmenait une délégation de 15 personnes dans la région de Lille à la découverte de modèles coopératifs français au sein de la filière alimentaire : depuis la production de semences jusqu’à la consommation de produits finis.
Lisez notre compte-rendu ci-dessous.
Notre voyage d’étude a commencé par une plongée au cœur de la CUMA de la Croix du Bois, une des plus anciennes et plus importantes Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole du Nord-Pas-de-Calais. Alors qu’en Belgique les CUMA ne rassemblent que très peu d’agriculteurs (souvent le minimum légal), les CUMA françaises regroupent, en moyenne, une vingtaine d’adhérents ! Celle où nous nous trouvions comptant jusqu’à 55 exploitations, allant de 5 à 60 hectares ! Comment expliquer pareil succès ? En partie par l’élan mutualiste de l’après-guerre, dont a découlé un état d’esprit d’entraide et de coopération … qu’a su pérenniser le réseau de fédérations des CUMA en apportant un accompagnement permanent aux coopératives. Et puis, bien entendu, il y a l’intérêt que cela représente pour l’agriculteur qui trouve dans la CUMA le moyen de profiter d’un matériel moderne et performant, à un prix juste, au sein d’une structure où il garde son mot à dire en tant que consomm’acteur, par opposition à la situation de client qu’il aurait avec une entrepreneur de travaux agricoles par exemple.
Mais, très concrètement, comment cela fonctionne-t-il ? Le principe de base veut que les adhérents participent au capital social de la coopérative en fonction du volume d’activité qu’ils s’engagent à avoir avec elle. Cela demande un peu d’organisation et, surtout, beaucoup d’anticipation de la part des agriculteurs, mais permet d’établir les besoins et de décider des investissements nécessaires à réaliser. Pour le reste, chaque CUMA est autonome, possède sa personnalité juridique propre, des statuts et un règlement d’ordre intérieur qui régissent ses règles d’utilisation du matériel agricole. Enfin, en vertu du modèle coopératif, les décisions se prennent selon le principe 1 homme = 1 voix et s’appliquent à tous de la même manière. Plus facile à dire qu’à faire ceci dit. Parce que, de l’aveu même de Daniel Desruelles, directeur de la FRCUMA Nord-Pas-de-Calais : « Le plus difficile, ce sont les relations humaines. Mais, avec un minimum de bon sens et de communication, on y parvient toujours. Certes, seul on avance plus vite, mais ensemble on va plus loin ! ».
En savoir plus sur les CUMA : www.cuma.fr
Au terme de cette première visite, il a suffi à notre groupe de traverser la rue pour rejoindre le magasin bio Au Panier Vert, dont la création remonte à 1986 ! Plus qu’un magasin bio, le Panier Vert est avant tout une coopérative qui transforme et vend exclusivement les produits issus des exploitations agricoles qu’elle rassemble. Né de l’initiative d’une dizaine d’agriculteurs dans une petite cour de ferme, la coopérative a connu une croissance constante au gré des crises alimentaires. De sorte qu’aujourd’hui elle compte 27 producteurs/coopérateurs et possède : une moyenne surface de vente accueillant près de 2.000 clients/semaine, de grands ateliers de transformation répondant aux dernières normes européennes, ainsi qu’une équipe de salariés affichant 16 équivalents temps plein ! Outre ces employés, les 27 producteurs/coopérateurs participent également à la gestion du magasin en tenant la caisse ou en aidant au réassort par exemple. Une implication qui se fait sur base volontaire mais qui est néanmoins vivement encouragée, notamment par le biais d’une rémunération de 14 euros/heure +TVA. Dans le même esprit, la participation aux réunions des différentes commissions qui organisent la vie de l’entreprise sont, elles aussi, rémunérées. Bernard Theve, présent depuis le début, justifie cette particularité : « Dans une société commerciale, on cherche à réduire les coûts par tous les moyens, parce qu’on se distribue les marges. Alors qu’ici, en coopérative, l’objectif est plutôt de se répartir les charges vu que nous visons uniquement l’équilibre avec un résultat égal à zéro ».
En savoir plus sur le Panier Vert : www.aupaniervert.fr
Mise en appétit par les alléchants produits du Panier Vert, la délégation de Coopburo a ensuite pris la direction de Roubaix, pour se rendre et se restaurer à Baraka, la ‘Fabrique de biens communs’ comme elle se définit elle-même. Il s’agit d’une SCIC, c’est-à-dire une Société Coopérative d’Intérêt Collectif : une forme juridique un peu à part, à mi-chemin entre l’associatif et la société commerciale, qui regroupe plusieurs sortes de sociétaires (multistakeholders) autour d’un projet d’utilité sociale.
Dans le chef de Baraka, la volonté des acteurs est de faire de l’écologie concrète au milieu d’un quartier populaire par le biais d’un bâtiment passif de 300 m2 où l’on trouve un restaurant social, des salles de réunion en location et de nombreuses activités non marchandes : atelier d’écriture, imprimante 3D, compost partagé, bibliothèque de quartier, etc. Un joli projet citoyen qui mêle éveil du voisinage précarisé aux thématiques environnementales et mise à l’emploi (durable) de personnes sorties du circuit du travail parce qu’une fois leur parcours d’insertion traditionnel terminé, elles ne trouvent plus de place du fait qu’elles n’ouvrent plus le droit aux subsides ! Bref, la coopérative Baraka se donne pour objet principal de créer de la convivialité, du lien social et du travail dans le respect des êtres humains et de la planète. Une mission dont nous pouvons témoigner qu’elle est mise en œuvre avec goût pour y avoir mangé un délicieux repas !
En savoir plus sur Baraka : www.cooperativebaraka.fr
La matinée du deuxième jour de notre périple dans le Nord commença, comme il se doit, sous la pluie ; le temps de traverser le centre de Lille et de rejoindre le siège de la CRESS – la Chambre d’Economie Sociale et Solidaire du Nord-Pas-de-Calais.
Là nous attendait Jean-Marc Florin, directeur régional de la confédération générale des SCOP : c.-à-d. des Sociétés Coopératives et Participatives, pour nous présenter ce modèle particulier d’entreprise dont le capital (et le pouvoir de décision) est majoritairement aux mains des travailleurs.
Avant de commencer son exposé, M. Florin prit le temps de dresser les contours de la pyramide du droit coopératif français où : le code des sociétés forme le socle commun à toutes les formes d’entreprise, suivi du droit des coopératives (loi de 1947) quelles que soient leurs spécificités, auquel s’ajoutent ensuite, au sommet de la pyramide, des dispositions particulières en fonction du type de coopérative visé. Après quoi il s’attarda sur les notions de souscription libre ou obligatoire, d’accord de participation, de partage des bénéfices, de réserves impartageables et de rémunération du capital. Un ensemble d’informations assez techniques illustrées par le témoignage d’un jeune délégué commercial du groupe Chèque Déjeuner, mondialement connu du fait de son leadership en matière de chèques restaurant. Une entreprise qui célèbre son 50ème anniversaire, emploie plus de 2.000 personnes et… est détenue à 100% par ses travailleurs ! « Attention, n’allez pas croire que du fait que les employés sont aux commandes, c’est ici un monde de Bisounours. Au contraire même. Je peux vous assurer que nous sommes tous fort impliqués dans la réussite de notre structure, parce que l’on sait bien que les bénéfices seront répartis équitablement et que l’on a tout à gagner à mouiller sa chemise ! » témoigne le jeune délégué. C’est là le cœur du modèle des SCOP : une double casquette salarié/sociétaire, couplée à une gestion participative et démocratique de l’entreprise. Chèque Déjeuner est à ce titre un véritable cas d’école : tout d’abord, en entrant dans l’entreprise, chaque salarié doit acquérir une première part sociale de 16 euros. Une participation au capital social qu’il augmentera par la suite au gré de la répartition annuelle des bénéfices prévue comme suit : 45% pour la croissance et les investissements de la société, 45% pour la participation bénéficiaire des salariés (remise, pour moitié, sous forme de parts sociales), 7% pour la rémunération du capital et 3% pour une caisse de solidarité des travailleurs. Enfin, une série de décisions importantes sont prises collectivement : à l’image de l’élection des membres du CA qui se fait tous les 4 ans en AG.
En savoir plus rel="noopener noreferrer" sur les SCOP : www.les-scop.coop
En savoir plus sur Chèque Déjeuner : www.groupe-cheque-dejeuner.com
En savoir plus sur la création de l'Union des SCOP Wallonie-Bruxelles
Après un lunch, servi comme il se doit par un traiteur organisé en coopérative, nous prîmes la direction de Vert’Tige : un point de vente à la ferme, membre du réseau coopératif Biocoop. Nous y fûmes reçu par Benoit Canis, qui se présente comme (dans l’ordre) paysan – commerçant – militant. Paysan avant toute chose donc. Parce que c’est son métier, sa passion, voire presqu’un sacerdoce. Les deux pieds et les deux mains dans la terre, il cultive 5 hectares de terrain qui appartiennent collectivement à un groupement foncier agricole. Une structure financière construite avec l’aide de riches familles du Nord pour lutter contre la problématique de l’accès à la terre, donner de l’emploi à des personnes peu qualifiées et produire des légumes bios de qualité.
Commerçant ensuite, essentiellement sous la pression de la clientèle : satisfaite du projet et en croissance constante, mais désireuse de pouvoir trouver une gamme de produits plus élargie. D’où le rattachement au réseau de distribution Biocoop, un projet coopératif né de consommateurs engagés, aujourd’hui davantage composé de producteurs agricoles et de dirigeants de magasins. Leader de la distribution alimentaire biologique, Biocoop s’illustre aussi par ses produits du commerce équitable et par un choix très étendu d’éco-produits et de cosmétiques.
Militant enfin, et investi par ses combats pour le développement d'une agriculture biologique durable, dans un esprit de coopération avec les différents acteurs partageant son projet : salariés, consommateurs, producteurs et partenaires. Bref, un ambitieux cocktail de valeurs et de choix de société face auquel l’entrepreneur solidaire déclare « la meilleure façon de ne pas réussir, c’est de ne pas essayer ».
En savoir plus sur Vert’ Tige et Biocoop : www.biocoop.fr
Lors de notre dernière visite de ce Coop Tour, il fut aussi question de réussite… mais d’un tout autre ordre ! Le groupe Invivo, une union de coopératives (ou coopérative de 2ème niveau), affiche en effet des chiffres impressionnants : 241 coopératives sociétaires, 6.730 emplois en équivalent temps plein et un chiffre d’affaires en 2012 de 5,7 milliards d’euros !! Ce qui le place en tête des groupes coopératifs français et à la 8ème marche des coopératives agricoles européennes. Un véritable géant de l’industrie agricole, dont la stratégie est de se tourner de plus en plus vers l’international afin d’aller chercher la croissance nécessaire au maintien de leur place dans un marché concurrentiel difficile. « On est là pour faire ce que nos coopératives sociétaires ne font pas. Leur métier est de produire des semences ; le nôtre de veiller à pouvoir les vendre aux meilleures conditions. Par exemple en mutualisant les coûts de recherche et développement, ou encore en cherchant de nouveaux débouchés afin d’assurer une certaine pérennité de notre activité » détaille le directeur de Semences de France (le pôle agronomique du groupe Invivo). Un modèle économique cohérent, mais qui s’éloigne nous semble-t-il des valeurs coopératives axées sur l’ancrage territorial et la participation démocratique des sociétaires au regard du poids qu’a pris l’activité de marché du grain (trading, courtage, etc.) dans le groupe ! Ce à quoi l’intervenant répond « c’est vrai que le modèle coopératif n’est pas simple parce que nos patrons sont aussi nos fournisseurs et nos clients. Cela fait beaucoup d’attentes différentes à rencontrer. Dans le contexte de forte volatilité de prix que nous connaissons, nous avons choisi de résoudre cette équation en développant une capacité d'expertise et une puissance de mise en marché qui créent ensuite de la valeur pour les coopératives adhérentes ».
En savoir plus sur Invivo : www.invivo-group.com
Ainsi s’achevait notre expédition à la découverte des coopératives françaises actives tout au long de la filière alimentaire. Un tour d’horizon enrichissant qui nous a donné un aperçu de la diversité des modèles coopératifs français. Une question se soulève tout naturellement après un tel voyage : qu’en est-il du modèle coopératif en Belgique ? Pouvons-nous nous inspirer d’initiatives de nos voisins ?
Nous retiendrons, en tout cas, cette autre citation de Daniel Desruelles :
« Tout cela démontre que la coopérative est à la fois un modèle entrepreneurial très ancien et très moderne »