Revivez le Coop Tour Allemagne qui a emmené un groupe de 22 personnes à la découverte de trois coopératives d’énergies renouvelables utilisant différentes ressources en Rhénanie-du-Nord - Westphalie, un des 16 États fédéraux d’Allemagne.
Ce compte-rendu lève ainsi un coin du voile sur ce pays dans lequel plus de 130.000 citoyens se sont réappropriés la production d’énergie via plus de 800 coopératives afin de participer à la transition énergétique allemande.
Dans la région de Rhein-Sieg, deux membres de la coopérative citoyenne BürgerEnergie Rhein-Sieg eG, Thomas Schmitz et Thomas Zwingmann, nous ont accueilli entre les murs du centre pour seniors du village. Concrètement, la coopérative loue des lieux publics et y aménage des installations photovoltaïques. En décembre 2015, 1.000 panneaux photovoltaïques ont été installés sur le toit du centre pour seniors. Cet aménagement, le plus récent lors de notre visite, est le neuvième projet mené par la coopérative. Le premier a été lancé en 2011.
« Les coûts de base sont identiques pour toute installation. Les plus grandes installations sont donc les plus rentables », nous a confié Thomas Schmitz. Il poursuit « L’idéal est d’aménager des installations photovoltaïques là où le maximum de la production peut être utilisée directement dans le bâtiment puisque la vente sur le réseau de distribution est couteuse (0,10 €/kwh) ainsi que le rachat (0,26€/kwh) ». Ainsi, 75% de cette installation fournit les besoins en électricité du centre et le reste est distribué aux membres qui bénéficieront d’une réduction fixe annuelle pour cette consommation d’énergie verte. Des non-membres peuvent également utiliser l’énergie, mais ne reçoivent pas la réduction.
Cette coopérative est composée de 120 membres, dont 84% sont des citoyens, qui ont, ensemble, apporté 507.000 euros de capital. Une part coûte 1.000 euros. Les autres 16% de membres sont des entreprises, 8 communes, une fondation et une banque. La plupart des membres-citoyens ont plus de 50 ans. Schmitz : « Dans cette phase de la vie les gens ont assez de capital et ont envie de faire quelque chose pour les générations futures. » Les projets sont généralement financés à raison de 20% sur fonds propres et 80% par un prêt hypothécaire auprès d’une institution bancaire.
Gérée démocratiquement (selon le principe : un homme = une voix), l’Assemblée Générale, composée de l’ensemble des membres, élit un Conseil de surveillance qui élit à son tour les membres du Conseil d’administration. Celui-ci est composée de membres-bénévoles et réunit des compétences diverses et complémentaires (un expert en finances, un ingénieur, un architecte…) afin de mener à bien ces projets.
L’après-midi, c’est vers un décor plus verdoyant que nous nous sommes dirigés. Depuis 2012, les 500 habitants du village de Wallen sont totalement indépendants des grandes compagnies pétrolières ou gazières. De fait, près de 5,5 km de réseau permettent de chauffer 90% des foyers du village! Les 10% restant ne souhaitant pas participer, disposaient déjà d’un système géothermique ou se situaient trop loin du réseau (> 1.5km). L’étude de faisabilité démontrait qu’un minimum de 80% des citoyens devaient participer pour que le projet soit faisable. Le réseau est aussi calculé pour un certain débit qu’on ne peut pas surpasser.
Important à savoir, la loi allemande oblige les citoyens à investir dans l’isolation de leurs maisons sauf s’ils utilisent de l’énergie durable.
Quelques habitants du village ont chaleureusement partagé avec nous leur passion et leur enthousiasme portés à ce projet coopératif citoyen. Les premières initiatives remontent à 2010, il a donc fallu environ deux années pour que le projet soit monté et seulement 6 mois pour construire l’entièreté des installations du réseau ! Arnold Donner :
« Vous n’avez qu’une seule chance de raconter votre histoire pour la première fois ! Nous nous sommes donc bien préparés avec un petit groupe de travail qui a demandé à trois bureaux de faire une étude de faisabilité. Nous étions très convaincus de notre dossier avant de le présenter au village entier. »
La Bioernergiedorf Wallen eG est une coopérative qui, en échange d’un apport de 2.500 euros de capital – ce qui est le coût d’une installation par maison -, offre à ses membres une alimentation en chauffage bioénergétique. Pour s’armer contre tout imprévu, le village est, en fait, doté de trois réseaux de chaleur : système biogaz, biomasse ou à mazout.
Le premier système, le biogaz (un gaz produit à partir d’un processus naturel de fermentation/méthanisation), ressort d’une collaboration entre la coopérative et un fermier du village, Wilhelm Seemer. Lorsque la production issue du biogaz est insuffisante, une centrale de cogénération fonctionnant sur base de biomasse (l’ensemble de la matière organique végétale ou animale s’active) prend le relais. La biomasse est ici constituée de betteraves sucrières, des excréments, des matières végétales et des copeaux de bois, provenant d’arbres sur le long des (auto)routes ou de forêt, que la coopérative achète. Suite aux hivers particulièrement doux de ces dernières années, la coopérative brûle seulement entre 1000 et 1500 m³ de bois par an. Enfin, en cas de nécessité extrême, le village dispose également d’une chaudière à mazout. Bien que le prix du mazout soit spécialement bas, son prix (4,7 cent/kWh) est presque deux fois plus cher que celui de la bioénergie (2,5 cent/kWh) ! Autant donc éviter son utilisation tant que possible !
Pour financer un tel projet, les 108 membres (une maison, une installation = un membre) ont, ensemble, apporté quelques 300.000 euros (15% du capital nécessaire). La coopérative a notamment pu bénéficier de différents subsides qui représentent un montant total de 630.000 euros. Cependant, le coût du projet se chiffre à 1,8 million d’euros. Le reste a donc été financé grâce à un prêt contracté auprès d’une banque. Suite à une enquête chez les citoyens, les gens intéressés avaient signé une déclaration d’engagement. Ceci a été un atout important pour convaincre la banque. Actuellement, les quelques bénéfices permettent de rembourser ce prêt. D’ici 2023, ce prêt sera totalement remboursé, la coopérative envisage dès lors de diminuer le prix de l’énergie.
Les membres ne reçoivent pas de dividende, mais il y une ristourne, un remboursement sur base de la consommation quand le profit est plus grand que prévu. Puisque un grand profit signifie que le prix de l’énergie était trop haut pour les consommateurs-propriétaires.
Similairement à la première coopérative visitée, le réseau de chaleur de Wallen est géré démocratiquement (un homme = une voix, malgré le fait qu’il y a des gens avec plusieurs maisons et ainsi plusieurs parts) et bénévolement par l’ensemble des habitants. Le Conseil d’Administration est composé de 15 personnes (bénévoles-membres) de compétences et qualifications diverses et complémentaires. À nouveau, la commune est membre de la coopérative et autorise une utilisation gratuite des canaux de distribution.
La seconde journée, nous avons pris la route vers l’Est du pays pour découvrir le tout premier village bioénergétique d’Allemagne : Jühnde. L’histoire de ce village est assez atypique puisqu’il a, en réalité, été sélectionné par l’université de Göttingen pour son potentiel : 750 habitants, 7 fermes à proximité du village, 1300 ha de champ et une forêt de 800 ha. L’université menait une étude en 2000 sur la diminution des émissions de CO2. Monsieur Paffenholz, un habitant-membre de la Bioenergiedorf Jühnde, nous a raconté l’histoire de ce projet.
Ce projet étant pionnier en Allemagne, il a nécessité des mesures particulières telles que de nombreuses réunions pour informer, convaincre et répondre aux questions des habitants. En 2001, un groupe leader a été mis en place. Il y avait un réel mix de compétences dans ce groupe de 8 membres (un expert financier, le maire, des membres du projet mené par l’université ou encore un économiste). Pour le concrétiser, en 2002, une entreprise a été créée afin de dynamiser l’initiative auprès des villageois. Enfin, deux ans plus tard, la coopérative est mise sur pied. Ils ont délibérément opté pour une forme coopérative parce que le pouvoir est aux citoyens et pas au capital.
« La force de la coopérative c’est le peuple. Il a fallu expliquer aux habitants qu’accepter ce projet, ça signifiait devenir un consommateur, devenir un propriétaire mais aussi de mettre chacun la main à la pâte.» nous confie Monsieur Paffenholz. « Un tel projet coopératif redonne du dynamisme aux villages dortoirs. » Il y a 8 groupes de travail : sur la station biogaz, les usines d’énergie, la station de chauffage, le bois, le réseau de chaleur, la technologie dans les maisons, les relations publiques et la gestion.
Finalement, 75% ont adhéré au projet, soit 144 foyers. Les 25% restant ont des nouvelles constructions et n’avaient donc pas nécessairement envie de remplacer leur chaudière encore neuve. Aujourd’hui, la coopérative est composée de 195 membres (144 consommateurs et d’autres investisseurs), séduits par trois arguments : contribuer à la diminution des émissions de CO2, devenir énergétiquement indépendant et enfin permettre une économie totale de 350.000 euros / an pour l’ensemble des habitants du village de Jühnde.
La coopérative dispose de trois installations : une station biogaz, une centrale de cogénération (copeaux de bois) et une chaudière à mazout. La station biogaz alimente la station d’énergie. L’électricité est mise sur le réseau et la chaleur – normalement un produit résiduel – est utilisée pour chauffer les maisons. Ainsi, le réseau de chaleur profite de 50% de l’énergie produite qui serait perdue dans des stations d’énergie normales. Le second système de chauffage s’active lorsque la production du premier est insuffisante et la centrale à mazout, nommée dans le jargon du village le « peak heating system », est utilisée en cas d’urgence ou de froid particulièrement rigoureux. Ceci permet, à nouveau, de se prémunir contre tout imprévu, puisque les foyers ne disposent plus de chaudière individuelle.
Grâce à la proximité des fermiers par rapport au cœur du village, la distance de distribution la plus longue est de seulement 3 km ! Sur les 1300 ha de champs disponibles à Jühnde, seuls 300 ha sont utilisés pour produire du biogaz. Celui-ci est issu à 60% du maïs, à 35% du triticale et à 5% de l’herbe. Les bois utilisés comme combustible pour la centrale de cogénération proviennent du bois résiduel des 800 ha de forêt du village et également d’arbres sur le long des (auto)routes que la coopérative achète.
La première installation (biogaz) permet de produire 716 kW d’électricité et 700 kW de chauffage. Ce qui correspond à 60% des besoins du village. Les 40% restant sont comblés par 35% avec la centrale de cogénération au bois. En cas de froid atteignant les -10°C, 5% du réseau de chaleur sont issus de la centrale à mazout. Comme à Wallen, la centrale de cogénération au bois est inactive en été. Cependant, la production issue de la centrale à biogaz est tout de même supérieure aux besoins du village. Ce surplus énergétique est alors utilisé pour sécher les copeaux de bois à destination de la centrale de cogénération.
Bien que le village ne soit pas totalement indépendant pour assurer ses besoins en électricité, il l’est néanmoins pour ses besoins en chaleur et produit même au-delà de ses besoins.
En vue d’orchestrer la gestion de ces installations, deux habitants travaillent à temps-plein pour la coopérative. De son côté, le conseil d’administration se réunit une fois par mois pour discuter de nouveaux projets ou encore de la situation financière des investissements de la coopérative. Cette harmonie de ressources « humaines » assure une gestion optimale de cette coopérative citoyenne.
Le coût d’investissement nécessaire pour de telles installations est considérable : 5,3 millions d’euros. Les investissements sont répartis comme suit : 1,5 millions d’euros pour l’aménagement du réseau de distribution d’eau chaude, 2 millions pour la station biogaz, 0,7 millions pour la station de cogénération au bois et 1,1 millions pour l’ensemble des structures.
Tout comme pour la coopérative citoyenne de Wallen, le financement fut possible grâce à trois sources différentes : les apports en capital de l’ensemble des membres-habitants (500.000 euros au total et minimum 1.500 euros par membre (3 parts de 500€)), divers subsides et aides publiques (1,5 million d’euros) (FNR – Ministère de l’agriculture, gouvernement local de Göttingen, EU – Leader+ et le gouvernement de Saxe Inférieure), et enfin un prêt bancaire de 3,3 millions d’euros.
Consciente que le prix de l’énergie verte ne sera plus garanti d’ici 10 ans (voir fiche ci-contre : le prix est garanti sur 20 ans cependant cette coopérative a déjà pu profiter de cet avantage ces 10 dernières années), la coopérative prend d’ores et déjà les devants afin de se protéger des pertes engendrées suite à la diminution des aides publiques. La coopérative a ainsi investi dans l’acquisition de deux centrales à cogénération de biogaz supplémentaires. Celles-ci produisent, ensemble, 1.000 kW additionnels. Tous ces nouveaux investissements sont portés par la coopérative, sans subsides ni aides publiques.
La coopérative a également acquis un système d’ultrasons. De fait, les ultrasons améliorent considérablement le processus de fermentation. Le système ORC et les deux centrales supplémentaires ont coûté pas loin de 2 millions d’euros à la coopérative.
Venons-en aux frais finalement à charge des habitants. Chaque foyer dispose d’un compteur pour mesurer sa consommation énergétique annuelle. Chaque ménage doit payer un prix fixe de 500 euros par an, augmenté de 0,06 euros par kWh consommé. La famille Paffenholz (notre guide) consomme environ 22 mégawatts (22.000 kW) par an. Le prix payé annuellement par cette famille pour sa consommation énergétique est d’environ 1.820 euros. Pour contrôler au mieux leur utilisation d’énergie, les foyers sont équipés d’un « compteur intelligent » qui permet de savoir, grâce à un voyant lumineux, quelle source d’énergie ils utilisent.
Riche de ses 10 années d’expérience, la coopérative bioénergétique du village de Jühnde suscite l’intérêt. Il y a deux ans monsieur Paffenholz était invité à Fukushima pour partager l’expertise de Jühnde. En plus, le célèbre village a été sélectionné par le gouvernement allemand pour un projet pilote de e-mobility. Quelques familles du village ont pris part au projet. L’idée est de promouvoir le partage de voiture électrique entre les habitants plutôt que d’acquérir une seconde voiture par foyer qui ne serait qu’occasionnellement utilisée. En plus, cela permet de consommer l’électricité produite d’une façon intelligente parce qu’on peut charger les voitures pendant la nuit, quand il y a une faible demande. Monsieur Paffenholz, qui participe à ce projet pilote, envisage de revendre la voiture de son épouse !
À l’issue de ce séjour enrichissant, quelles leçons pouvons-nous tirer de ce mouvement citoyen face à la transition énergétique ? Existe-t-il une recette miracle pour fonder une coopérative d’énergies renouvelables ? Du moins, quelques ingrédients semblent essentiels :
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